2021/03/22
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ND Policy Brief Vol.5「原子力大国フランスの変遷と核燃料サイクルへの警鐘」の仏語版を公開しました。全文を掲載いたします。
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L’annonce faite par le gouvernement français en juin 2018 de geler les plans du réacteur rapide ASTRID a porté un coup majeur à la politique nucléaire du Japon. La France, une des puissances nucléaires mondiales, a établi un partenariat étroit avec le Japon dans le domaine de la recherche et du
développement de réacteurs rapides dans le but de mener à bien le cycle du combustible nucléaire. Après la décision de déclasser Monju, le gouvernement japonais s’est tourné vers ASTRID pour lui succéder et a cherché une solution à son problème de combustible nucléaire irradié. Cependant, avec l’industrie nucléaire française en difficulté financière, le programme ASTRID en attente et le gouvernement français cherchant à réduire sa dépendance à l’énergie nucléaire, le cycle du combustible nucléaire japonais est dans une impasse plus grande que jamais. Avec les critiques croissantes sur l’excédent de plutonium du Japon sous l’angle de la prolifération, la question de la politique du cycle du combustible nucléaire ne se limite pas à la France et au Japon, mais a amené la communauté internationale à un carrefour.
La France : Une superpuissance nucléaire
La France est le pays le plus dépendant du nucléaire au monde. Actuellement, il y a 58 réacteurs en exploitation dans le pays, et l’énergie nucléaire représente environ 70 % de la production d’électricité du pays. Le choc pétrolier des années 1970 a incité la France, qui dispose de ressources énergétiques limitées comme le pétrole et le gaz naturel, à développer le nucléaire à grande échelle pour s’assurer une source d’énergie et maintenir sa position en Europe. De ce fait, la recherche et le développement nucléaire menés principalement au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ont fait des progrès significatifs, et ont été appliqués à une grande variété de domaines autres que l’énergie nucléaire, tels que la technologie médicale et l’astrophysique.
Le gouvernement français a établi des canaux de communication ouverts avec le public afin d’obtenir un soutien vigoureux pour l’énergie nucléaire. Après la catastrophe de Tchernobyl en 1986, la sécurité des centrales nucléaires a suscité des inquiétudes, et l’énergie nucléaire a fait l’objet de critiques dans le monde entier. Même en France, le scepticisme à l’égard de l’énergie nucléaire ne manquait pas. En même temps, le gouvernement français a activement diffusé auprès du public des informations sur la sécurité énergétique et les risques de l’énergie nucléaire. Le gouvernement a réussi à manipuler l’opinion publique, et avant l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, les deux tiers de la population étaient favorables à l’énergie nucléaire.
Les entreprises nucléaires françaises ont soutenu la compétitivité du pays sur le marché nucléaire international. AREVA, une grande entreprise française d’énergie nucléaire (rebaptisée ORANO en janvier 2018), a souffert de difficultés de gestion en raison des effets de l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi en 2011 et de retards dans la construction d’un nouveau réacteur nucléaire en Finlande. Par conséquent, en 2014, l’entreprise a enregistré une perte nette de 4,8 milliards d’euros. Ensuite, le gouvernement français a poursuivi la restructuration de l’industrie nucléaire et AREVA a pris un nouveau départ sous le nom d’ORANO, le plus grand conglomérat nucléaire du monde. Dans le cadre de cette restructuration, la division réacteur et services d’AREVA a été transférée à l’entreprise publique d’électricité, Électricité de France (EDF). La loi de transition énergétique de 2015, promulguée sous le gouvernement du Parti socialiste de Hollande, stipule une capacité de 63,2 millions de kW d’énergie nucléaire et permet la construction de nouvelles centrales nucléaires si la fermeture des réacteurs existants libère de la capacité. Pour cette raison, l’EDF a commencé à concevoir un nouveau réacteur à eau pressurisé européen (EPR = European Pressurized Reactor) et a annoncé qu’il allait reconstruire les réacteurs nucléaires qui ont atteint la fin de leur durée de vie. L’EDF, qui participe également à la conception et à la construction de réacteurs nucléaires, se développe à l’étranger, notamment par des ventes en Chine et en Inde.
Le Japon et la France travaillent ensemble vers un fantasme nucléaire
Plusieurs pays utilisant l’énergie nucléaire ont un jour envisagé un cycle du combustible nucléaire, notamment des superpuissances nucléaires, les États-Unis et la France, ainsi que l’Allemagne, la Suisse et la Belgique. Cependant, la clé du cycle, les surgénérateurs rapides, n’était pas économique et présentait de nombreux problèmes techniques. De plus, les surgénérateurs rapides qui produisent du plutonium de haute pureté ont été considérés comme un problème sous l’angle de la non-prolifération, et de nombreux pays ont renoncé à les développer.
En dépit de ces problèmes, la France a continué à poursuivre activement sa politique en matière de plutonium (recyclage du plutonium dans les réacteurs à eau légère existants) et ses projets de surgénérateurs rapides. Il existe actuellement en France environ 1 200 tonnes de combustible nucléaire irradié par an, dont environ 1 000 tonnes sont retraitées à l’usine de retraitement de La Hague, exploitée par AREVA, puis transformées en combustible MOX. En retour, environ 120 tonnes de combustible MOX sont produites chaque année, générant 10 % de l’électricité nationale française. Le combustible nucléaire irradié qui n’est pas immédiatement retraité est conservé dans des piscines de stockage à l’usine de retraitement de La Hague et dans d’autres centrales électriques à travers le pays. Environ 65 tonnes de plutonium détenues par la France seront finalement transformées en combustible MOX, et elle a cherché à établir un cycle du combustible nucléaire pour empêcher l’accumulation de combustible nucléaire irradié.
Quant aux surgénérateurs rapides, la France a construit et exploité le Rapsodie (réacteur expérimental de 40 MW de puissance thermique) en 1967, le Phénix (réacteur prototype de 250 MW de puissance électrique) en 1973, et le Superphénix (réacteur de démonstration de 1240 MW de puissance électrique) en 1985. Cependant, tous ont souffert de fuites de sodium et de pannes de générateur, n’ont pas été rentables et ont été mis hors service.
Par la suite, la France s’est tournée vers le développement de réacteurs rapides, qui étaient destinés à brûler les déchets plutôt qu’à produire du plutonium comme leurs homologues surgénérateurs rapides. Le gouvernement français a demandé au CEA de développer un nouveau réacteur de démonstration, ce qui a conduit à la création du programme ASTRID. Au début de 2010, lorsque le projet national a été lancé, le nouveau réacteur rapide ASTRID devait produire 600 000 kilowatts d’électricité, et il a été annoncé que les coûts de construction s’élèveraient à 6 milliards d’euros (environ 780 milliards de yens). En même temps, l’industrie nucléaire française avait des difficultés financières et le développement des réacteurs rapides était paralysé. Pour poursuivre son plan, la France a demandé que l’opération de Monju, alors suspendue, soit reprise et que des recherches communes soient mises en place. En 2014, des accords sur le développement d’un réacteur rapide ont été conclus entre les agences gouvernementales japonaises et françaises (CEA ; ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie ; et ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la science et de la technologie) et les agences d’exécution (CEA, AREVA, Agence japonaise de l’énergie atomique [JAEA], Mitsubishi Heavy Industries, Ltd et Mitsubishi FBR Systems [MFBR]).
D’autre part, après l’abandon du projet Monju en 2016, le Japon s’attendait à ce qu’ASTRID lui succède. En fait, même le fardeau financier de développement conjoint d’ASTRID a été mentionné dans le Plan énergétique de base (Basic Plan on Energy). En 2019, le gouvernement français avait investi jusqu’à 1 milliard d’euros (environ 120 milliards de yens) dans le développement d’un nouveau réacteur rapide. Outre le Japon, la Russie, la Chine et les États-Unis sont candidats à une recherche commune, mais en termes de financement, la France est particulièrement enthousiaste à l’égard du soutien du Japon. Le Japon, qui s’était appuyé sur ASTRID, était prêt à fournir une assistance, et a supporté le coût du projet d’environ 20 milliards de yens. De cette manière, la France et le Japon ont établi un système de coopération flexible pour réaliser un surgénérateur rapide, ou réacteur des rêves, et de son remplacement, le réacteur rapide.
L’abandon du projet ASTRID
Contrairement aux attentes du Japon, lors de la conférence sur le développement des réacteurs rapides organisée par le ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI) en juin 2018, un responsable du CEA a annoncé que le programme ASTRID a été abandonné. L’évaluation de la faisabilité de la construction sera reportée à 2024, et même si elle est réalisée, la puissance électrique prévue du réacteur rapide sera fortement réduite de 200 000 à 100 000 kilowatts, avec une application pratique qui devrait durer jusqu’en 2080.
Le plan a été réduit en raison de la situation financière urgente entourant le développement du réacteur rapide. Nicolas Devictor, haut fonctionnaire du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, a déclaré que « le besoin de déploiement commercial de réacteurs à neutrons rapides est beaucoup moins urgent, en raison du contexte actuel du marché de l’uranium », ajoutant plus tard que « la France cherche un réacteur économique ». En outre, Jacques Percebois, professeur émérite à l’Université de Montpellier spécialisé dans la politique de l’énergie, a expliqué qu’il a constaté un renforcement des règles de sécurité suite à l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi, qui a triplé le coût de construction de la centrale nucléaire, entraînant une pénurie de fonds pour le développement de réacteurs rapides. ORANO, qui dirige le projet ASTRID, continue de sous-performer et EDF, qui prévoyait de construire un grand réacteur rapide pour la commercialisation, a d’autres priorités, telles que la reconstruction des centrales nucléaires existantes et le développement d’un nouvel EPR. Depuis le début, la France a connu de telles difficultés financières qu’elle a dû compter sur les fonds de ses partenaires de développement pour ASTRID. Cela soulève la question de savoir si le gouvernement français doit continuer à dépenser ses fonds limités pour le développement de réacteurs rapides au milieu des préoccupations croissantes concernant la prolifération nucléaire dans le monde. La politique française en matière de cycle du combustible nucléaire, qui a été à la tête de l’industrie nucléaire pendant des décennies, est dans une situation difficile.
Le cycle du combustible nucléaire touche à sa fin
Après l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi, le mythe de la sécurité nucléaire s’est effondré, et le gouvernement français a décidé de passer aux énergies renouvelables. On peut également dire que la hausse des coûts liés à l’énergie nucléaire a accéléré les politiques visant à l’éliminer. La loi de transition énergétique précitée a encouragé non seulement le développement des énergies renouvelables, mais aussi la fermeture des centrales nucléaires en France dans le but de réduire le ratio de production d’énergie nucléaire. Malgré le fait qu’une certaine capacité de production d’énergie nucléaire soit maintenue, le président Macron, qui a pris ses fonctions en 2017, a plaidé en faveur d’une politique visant à éliminer l’énergie nucléaire et a annoncé une politique visant à réduire le ratio de l’énergie nucléaire à 50% de la production totale d’énergie du pays d’ici 2035.
Les revers du programme ASTRID ont jeté une ombre sur le développement du cycle du combustible nucléaire au Japon. Le projet Monju a été déclassé en 2016, mais le Japon a poursuivi la recherche et le développement de réacteurs rapides afin de traiter efficacement le plutonium excédentaire, qui a été la cible de critiques internationales. Le METI avait prévu de poursuivre le projet de réacteur rapide principalement sous les auspices d’ASTRID, mais la suspension du projet ASTRID en France a fait dérailler le plan initial. En décembre 2018, le METI a annoncé une politique de « feuille de route stratégique » qui décrit la recherche et le développement des réacteurs rapides. Bien qu’il mentionne la possibilité de divers développements technologiques à l’avenir, il n’y a aucune mention d’ASTRID. La question de savoir si les petits réacteurs rapides, plus petits que celui de Monju, peuvent produire un quelconque résultat reste sans réponse, même parmi les personnes concernées. Le fonctionnement de l’usine de retraitement de Rokkasho, dans la préfecture d’Aomori, qui fait l’objet d’un examen de sécurité, reste incertain. En outre, il est prévu de construire des installations de stockage à sec dans des centrales nucléaires telles que Genkai et Hamaoka. Maintenant que le programme ASTRID, la seule lueur d’espoir du Japon, a été gelé, l’importance du cycle du combustible nucléaire du pays est remise en question.
De nombreux pays qui ont mis en place des centrales nucléaires craignaient autrefois que le combustible et l’uranium utilisés pour l’énergie nucléaire ne s’épuisent, et ont donc cherché à mettre en place un cycle du combustible nucléaire comme solution. Toutefois, au XXIe siècle, les ressources en uranium ne sont pas rares et l’industrie nucléaire a décliné, de sorte que les surgénérateurs rapides ne sont pas considérés comme une technologie économiquement compétitive. Bien que des projets de développement de surgénérateurs rapides soient en cours dans certains pays (Russie, Chine et Inde), les perspectives d’application pratique ne sont pas claires. Par ailleurs, le Japon et la France, qui menaient des activités de recherche et de développement sur le cycle du combustible nucléaire, ont également été contraints de changer de voie en raison de l’annulation du programme ASTRID.
Le « Mémorandum de coopération sur l’innovation pour la transition énergétique » signé par le ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’industrie et le ministère français de la Transition écologique et solidaire le 26 juin 2019, stipule une feuille de route pour le lancement d’un cadre de coopération entre le Japon et la France pour le développement de réacteurs rapides à partir de 2020. Toutefois, le mémorandum indique seulement que le cadre sera « axé sur la R&D basée sur la simulation et le travail expérimental », sans aucune évolution concrète en vue. Le développement continu de Monju et d’ASTRID comme contre-mesure à l’excès de plutonium a été utilisé pour contester certaines des critiques du stock massif de plutonium et du potentiel d’armes nucléaires du Japon. Ce n’est plus un contre-argument efficace, et comme les préoccupations de la communauté internationale concernant la prolifération nucléaire deviennent plus sérieuses, une nouvelle direction doit être envisagée.
(Atsuki Hirano)